dimanche 24 mars 2019

Où va-t-on si à 20 ans on ne rêve plus de changer le monde ?

Jérusalem
FreeImages.com / gunars tison
J'ai pu rencontrer Marek Halter à l'occasion de ses tournées pour ses mémoires Je rêvais de changer le monde, parues il y a peu de temps.
Voici donc un article à propos d'un juif du ghetto de Varsovie, rescapé de la Shoah et ayant lutté pour la paix toute sa vie, notamment pour la paix israélo-palestinienne.





Marek Halter

Marek Halter en 2010 / crédit photo : Ji-Elle [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)]

Marek Halter est né dans le ghetto juif de Varsovie en 1936. Son enfance heureuse, ainsi qu'il la qualifie, s'arrête brusquement alors qu'il n'a pas encore 4 ans.
Elle s'arrête alors que le cheval d'un soldat est abattu par un tir de pistolet devant l'immeuble où vivaient le petit Marek et sa famille. Le cheval tombe.
Jusque là, rien de si terrible se confie aujourd'hui Marek. Sauf que, alors même que le cheval n'est pas encore mort, tous ses voisins d'immeuble, ceux-là même qui lui offraient des bonbons avec la tendresse naturelle que l'on ressent envers les petits enfants de 3 ans et demi, tous ces voisins-là, affamés, se jettent sur le corps du cheval encore respirant pour le découper.
Avec leurs petits couteaux de cuisine. 

Voilà la première confrontation de Marek avec la mort.
Même pas la mort d'un humain, mais celle d'un cheval.
Cette image de la mort, un cheval encore vivant que l'on découpe, ne cessera de le poursuivre.

Lorsque pendant la guerre ses parents lui apprennent la mort d'un proche ou d'un ami de la famille, le petit Marek demandera toujours : il est mort ... comme le cheval ?! 

C'est ce jour-là, à cet instant, devant les flancs du cheval qui se soulevaient encore sous la respiration de l'animal, que Marek a haït la mort.
Peut-être que tous ses combats futurs pour la paix ce sont décidés déjà à cet instant. 
La guerre, c'est la mort.
Marek haï la mort.
Marek lutte pour la vie, pour la paix. 

Alertés de l'approche des nazis par des juifs allemands en fuite, la famille Halter s'enfuie pour l'URSS.
En quittant Varsovie, la mère de Marek le prévient : 
"Si on te demande si tu es juif, tu répond non. 
Tu m'as bien compris? Tu répond quoi?"
Marek de répondre : "Non!"
La maman reprend, pour s'assurer qu'il a compris : 
"Tu répond quoi?"
"Non!" se récrie le petit Marek, studieux.

En quittant la ville au soir, la petite troupe tombe sur une patrouille nazi.
Naturellement, les nazis demandent à Marek : 
"Juifs ?". Ils demandent évidemment au petit, parce que les petits ne savent pas mentir.
Marek répond immédiatement : 
"Oui bien-sûr Monsieur, on est juifs!"
Sa famille se met à éclater de rire. Dans l'espoir de tromper les soldats nazis.
Et ceux-ci se font effectivement avoir.
Le plus gradé dit : 
"Laissez les passer, vous voyez bien que le petit plaisante. Les juifs ne reconnaissent jamais qu'ils sont juifs!"

Quelle morale en tire aujourd'hui Marek Halter?
Le meilleur mensonge est la vérité.


La combat pour la paix israélo-palestinienne

 

Ce qui est très intéressant chez Marek Halter, c'est que, même s'il est juif, sa priorité dans le conflit israélo-palestinien ce n'est pas Israël, mais la paix.

Pour obtenir cette paix, Marek n'hésite pas à rencontrer tout le monde.
Ainsi, Marek rencontrera Nasser, le président Égyptien, à l'époque même ou Israël et l’Égypte sont en guerre.
De même, Marek rencontrera Yasser Arafat, président de l'OLP, l'Organisation de Libération de la Palestine.
Celui-ci ne se serait tout d'abord pas montré du tout engagé pour la paix, son but clairement annoncé étant de rayer de la carte l’État d'Israël.
Au terme d'un échange encadré par des soldats d'Arafat armés de Kalachnikov, les négociations n'avançant pas, Marek demande alors simplement à Arafat de le rencontrer de nouveau un an plus tard, espérant que celui-ci change de position entre temps.
Arafat lui répond : 
"Dans un an à Tel-Aviv.", sous-entendant : dans un an j'aurais détruit Israël, Tel-Aviv étant la capitale Israélienne.
Marek lance : 
"Si c'est ainsi, je vous aurais tué un jour avant!"
Les soldats braquent immédiatement leurs armes sur Marek. Arafat leur dit de ne pas tirer, et s'approche de Marek.
Et c'est à partir de cet instant que Marek affirme qu'Arafat aurait commencé à comprendre ce que Marek voulait lui dire, ce pourquoi Marek voulait la paix.

Depuis, Halter et Arafat ne cesseront de se rencontrer et deviendront amis, ce qui conduira Arafat à signer la paix avec Israël en 1993.
Poignée de main historique entre Arafat (à droite) représentant la Palestine, et Rabin (à gauche) premier ministre d'Israël. Crédit photo : Vince Musi / The White House

Les mémoires de Marek Halter


Après bien des péripéties dans sa vie, Marek Halter, qui fut à une certaine époque peintre, est aujourd'hui plutôt connu en tant qu'écrivain, notamment de La mémoire d'Abraham, et aussi comme activiste pour la paix ayant rencontré beaucoup de personnalités politiques, notamment : Poutine, Arafat, Nasser, les présidents français depuis Mitterrand, les papes...

Arrivé en 2019 à l'âge de 83 ans, Marek Halter en est donc à son bilan, il publie ses mémoires.
Ça doit faire drôle quand même d'écrire ses mémoires. Imaginez : on raconte toute sa vie dans un livre de 600 pages, puis on le publie et la vie continue. Mais alors il ne s'agit pas de toute votre vie dans ce livre...

Ces mémoires de Marek Halter sont évidement plus que le simple récit objectif de sa vie.
Il essaye d'en tirer des leçons, il présente les événement avec le recul de celui qui en a tiré des enseignements.
C'est là toute la richesse de ce livre.

Comment j'ai lu Je rêvais de changer le monde, de Marek Halter 


Je vous le dis toute de suite : avant il y a un mois, j'ignorais jusqu'à son existence. Je ne connaissais pas du tout qui était Marek Halter.
Et si vous m'aviez présenté une photo de lui, je vous l'avoue, j'aurais peut-être dit qu'il s'agissait d'un rabbin ou d'un imam..., mais jamais je n'aurais pu soupçonner l'étendu de son œuvre et de ses réflexions.
Lorsqu'il a eu un désaccord avec la pensée de Jean Paul Sartre, il s'est renseigné sur son adresse, et s'est alors rendu chez lui le plus naturellement du monde. Il frappe à la porte, Sartre ouvre : "Bonjour, je viens parce que je suis en désaccord avec votre position concernant ... et je voudrais en discuter."
Voilà quand même quelqu'un qui possède un peu de cran..., et beaucoup de passion pour les discussions et le dialogue.

Donc voilà, je ne le connaissais pas du tout du tout.
Mais par hasard, en regardant les nouveautés, je suis tombé sur son livre : Je rêvais de changer le monde.


Je rêvais de changer le monde

  Et alors, comme moi, je rêve de changer le monde, j'ai naturellement été attiré par ce livre.
Je l'ai acheté. Je l'ai lu.
Je l'ai trouvé très instructif.
Et puis, encore par hasard, j'ai appris que Marek Halter passait près de chez moi.
Ni une, ni deux, il fallait que je lui serre la main!

Voilà donc un p'tit vieux français juif qui raconte sa vie devant une cinquantaine de personnes.
Ça fait bizarre vous savez, c'est un peu comme quand votre grand père vous racontait sa vie, mais là il est question de Poutine, de pouvoir, de guerres, de massacres...

On lui pose la question évidente : vous rêviez de changer le monde, y êtes vous parvenu?
Réponse résumée : non évidement, mais beaucoup de choses ont tout de même changées. Israël et l’Égypte ne sont plus en guerre par exemple.

Une autre personne lui a demandé s'il avait un dernier message à faire passer dans ses mémoires, s'il voulait que quelqu'un poursuive un de ses combats en particulier, une cause, un but?
Et là, je ne sais pas si c'est moi qui était fatigué ou lui, mais il n'a pas vraiment répondu à la question.
Il a plutôt dit non pas vraiment parce que les combats qu'il a menés étaient les causes qui lui tenaient à cœur, donc que chacun a ses propres combats. Puis il a continué à raconter quelques moments de sa vie, certes intéressant mais je n'ai pas vraiment saisi le rapport avec la question.

Viens alors la fin de l'échange.
Les gens font la queue pour avoir une dédicace de l'auteur sur leur livre.
Sans doute pour l'exhiber devant leur amis et faire les malins.
Pour se sentir exister.
Pour se sentir quelqu'un.

Et moi où croyez-vous que j'étais?
J'étais au début de la file car j'étais pressé par le temps.
Suis-je un mouton noir?

J'observais ceux devant moi : ils faisaient signer, puis repartaient.
Marek Halter, homme ayant rencontré presque tous les protagonistes des guerres du XXème siècle, 
Marek Halter grand écrivain,
Marek Halter juif survivant de la Shoah,
Marek Halter était devenu une machine à signer des autographes sur les livres.
Triste monde.

Viens mon tour.
Il ne lève pratiquement pas les yeux et me demande mon nom, pour l'écrire sur la dédicace bien-sûr.
Moi je ne lui tend pas mon livre, mais je lui dis : 
"Je voudrais vous serrer la main!" 
Marek lève alors les yeux, me sourit et me tend spontanément la main, chaleureusement.
Un instant j’eus l'impression d'être son petit fils.
J'avais fait la queue, il voulu tout de même me dédicacer son livre.
Pendant qu'il écrivait, j'avouais humblement :
"Je ne vous connaissais pas, mais j'ai été attiré par votre livre car j'ai 22 ans et je voudrais changer le monde."

Il m'a répondu :

"Où va-t-on si à 20 ans on ne rêve plus de changer le monde ?"



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2 commentaires:

  1. Zen ! ..à 22 ans j'étais au Liban (vers Bcharré; la guerre était civil) j'ignorais que la vie avait autant de "camp" et que parfois j'allais en changer,

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