mercredi 6 février 2019

Amours d'outretombe (partie I)

Cet article sera le premier d'une série de plusieurs articles dans le même thème.




1er Fév.

 
 Au clair de lune, près de la mer, dans les endroits isolés de la campagnes, l'on me voit, plongé dans d'amères réflexions.*
La nature peut témoigner de mon déchirement. Car c'est alors que m'apparaît, dans un la répété et plaintif, son visage.

Le la s'éteint et meurt, mais son visage demeure, et prends, à mesure que ma pensée s'assombrit, de belles couleurs, si vives, si claires, si pures, que l’atmosphère où je me trouve est transcendée, et j'imagine alors la morte en robe de mariée.

Une longue robe traînante, immaculée et produisant une mélodie furtive et mélancolique, où l'on s'étonne de trouver un accent de regret dans tant de bonheur. Pour son visage, elle se tourne, et c'est Elle. Elle sourit presque. Les fleurs qu'elle tient dans sa main fine ne sont pas les chrysanthèmes que quelques hypocrites ont osé poser sur sa tombe. Non, ce sont des fleurs enflammées, un bouquet que le feu a dévoré, qui a combattu la flamme et auquel il reste une couleur, unique mais pâle.

Moi, je ne la quitte pas des yeux quand elle marche le long de ce sol nu de ronces et de roses, et je suis sûr d'avoir remit mon cœur entre ses mains lorsqu'elle s'éloigne ainsi.




*Citation approximative des Chants de Maldoror de Lautréamont




7 oct. 


FreeImages.com / Vanessa Fitzgerald
Le cri d'une inspiration nouvelle ne fit pas frémir le corbeau du ciel bleu et noir.
Grandir, pleurer. Grandir, parler. Grandir, manger. Grandir, marcher. Grandir, gagner.
Grandir, grandir, grandir.
Le feu de son regard a brûlé nombre d'entre nous. Elle.
Surtout sur ces ciels stridents.
L'eau, la haine, l'amour et le sang.
Le bonheur rêve et soupire. La glace se crispe. Ici.
Pourquoi? Pourquoi?
C'est la légère griffure qui éclata tout. Le tout. La totalité.

Il tombe, ses genoux heurtent le sol, puis son visage.









24 mars.
 

 Je suis debout au bord d'une route. C'est le XXIème siècle : j'attends le bus. Autour de moi, la ville, l'effervescence. Une voiture s'arrête au milieu de la route, provoquant une circulation alternée non prévue.
Il y a des gens, des rires, des éclats de voix, partout autours de moi.
Je reste immobile, debout, ne sachant toujours pas comment attendre.

Il fait chaud. Il fait beau. C'est pas que je suis triste, mais mal à l'aise.
Quelques fois, il y a comme un chant, mais impossible d'assurer que c'est bien là un oiseau.
Les gens sont toujours à leurs affaires. En regardant le ciel, ni bleu, ni blanc, je fais quelques pas les yeux mi-fermés, récitant en dedans de moi les beaux vers de Milosz.

"Il fait bon. Dans le foyer doucement traîne [...]"

De la foule, je reconnais quelqu'un, il traverse la route. Je baisse la tête. Il passe à côté de moi, me frôlant presque.

"La voix du plus mélancolique des mois. [...]"

Je me retourne : il a disparu. En me retournant, j'aperçois un chien couché au soleil - ses maîtres tiennent un stand de je ne sais quoi.

"Ah! les morts, y compris ceux de Lofoten - [...]"

Sur la route, les automobilistes s'impatientent : la voiture arrêtée bloque toujours la voie. Le bus arrive par le virage, freinant brutalement à la vue de la voiture arrêtée - klaxon! - gestes du chauffeur.
Au loin, depuis l'église on entend sonner les cloches. Onze heure et un glas.

"Les morts, les morts sont au fond moins morts que moi."

Montée dans le bus. Ma carte ne marche pas. Pas de chance, le chauffeur était pourtant déjà assez énervé. Il me la prend, appui sur tous les boutons de sa machine. Je vois qu'il tremble de tous ses bras. Il dit d'aller m'asseoir. J'y vais en lui abandonnant ma carte et l'argent pour la recharger. Le bus part.

500 mètres plus loin, arrêt imprévu. Un gros SUV mal garé bloque trop la route pour le bus. Colère. Au bout d'une minute, une voix à la vitre du chauffeur. Elle s'est mal garée parce qu'elle est enceinte. Critiques. Altercations. C'est une excuse, même quand elle aura accouché elle saura toujours pas se garer! Petit à petit le bus est passé. Il passe les vitesses et accélère juste au moment où un policier s'avançait enfin.

Le trajet interminable. La voix insupportable du chauffeur ne se taisant jamais. À la descente, il me rend ma carte, l'argent. Discours habituel : gare routière, recharger, valider, magnétiser, au revoir, merci. La porte est ouverte d'un quart que je suis déjà loin, courant presque dans la cote. Métro. J'ai la tête qui tourne, je trouve une salle, je mange. 13h15. Je vais prendre un café, à une machine, en bas du bâtiment où j'ai cours.

Je monte à la salle, café en main. Peut-être m'étais-je brûlé la langue, comme souvent, je ne me souviens plus. M’assois. Les autres sont déjà là. Inutile de les présenter : je ne les connais pas. J'attends. Le prof. Le cours. La pause.

Je suis crevé, je redescend prendre un autre café. En remontant, elle est là, debout, dos à la fenêtre - à la fenêtre contre laquelle j'étais assis - portable en main. Moi ça me glace le sang, comme toujours en fait, mais je sais y faire - ça fait longtemps maintenant. Je veux dire : je sais ne rien laisser transparaître. Je vais m'asseoir, comme si de rien n'était.

Je porte le café à mes lèvres. Le repose. Sort une limite d'intégrale à calculer. Je me penche sur ma feuille pour réfléchir. De temps à autre, je jette un œil à ma gauche, elle fait semblant d'être absorbée dans ses messages. Je me retourne alors pour montrer le problème à ceux qui sont assis derrière moi - je sais qu'ils sont assez bons. En leur montrant, je jette un œil sur elle, de temps à temps - elle me surveille alors moi aussi - elle est à ma droite maintenant (je me suis retourné). Elle n'est plus à son téléphone. J'en profite pour l'observer. Elle l'a toujours en main. Elle nous regarde, comme ça, sans un mot.

J'insiste sur l'intégrale auprès des autres, aussi parce que je sais qu'ils aiment les maths. Ils n'en ont pourtant manifestement rien à foutre de ma limite. - Comment peut-on aimer et ne pas aimer une chose, et en même temps? - Je me retourne alors et me repenche sur ma feuille. Je vois alors la silhouette du prof se dessiner à la porte.
Pourquoi, ici, les pauses sont-elles plus longues que les cours?

À la fin du cours, j'attends les autres - parce que tout de suite après on a un autre cours. Et eux ils attendent je ne sais pas qui. Personne ne vient. On dirait qu'ils l'attendent à elle. Peut-être est-ce pour cela que je les attends à eux??

En sortant, on échange trois quatre mots. Je ne sais pourquoi, quelqu'un d'eux avait sorti un petit couteau de sa poche. Montre. Il me le passe. Je l'examine, me moquant un peu. C'est pour ouvrir les bières? - Non mais il a de tout dans ses poches - c'est elle qui parle. Je replie le canif. Attention de pas te tailler, c'est elle qui se moque. Je rend le couteau, on marche vers la salle.
Quelques discussions entre eux - et moi de temps à temps. Elle, elle ne dit rien.
Moi je suis dans le même état qu'un damné ayant une vision du paradis, et ne pouvant cependant quitter son enfer.

De proche en proche - elle attendit dehors au soleil, moi dedans à l'ombre - le cours débuta. Le prof donna les résultats - à voix haute - de l'examen précédent. En se tournant, elle m'accorda un signe en esquissant un léger sourire.

Le cours se passe, sans pause. 2 heures pour un seul exercice! Il faut dire qu'il était facile! Au début, c'est-à-dire avant le cours, le prof parle de fixer un créneau pour rattraper un TD. Ça a pris 10 minutes à mettre le groupe d'accord pour le lundi suivant, puis au dernier moment, ils prirent le mardi.

À la fin du cours, elle est vite partie. Moi aussi.














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